... Le tableau est décroché, reste une tache claire
sur le paysage, un tremblement sur nos visages.
Et je me penche aujourd'hui sur cet après-midi
d'un mois de juin de mouches et de taons
sans rien reconnaître.
Si dans les années cinquante commencent
à apparaître de nouvelles machines agricoles ; si on peut
entendre depuis près d'un siècle le train
s'éloigner vers Périgueux ; et même si parfois
passe un avion à réaction qui coupe le ciel en deux, il
est, somme toute, peu de différence entre le monde du Vinhal,
évoqué par l'auteur grâce à la
redécouverte de vieux actes notariés qui pour certains
datent du début du XVIIe siècle – et le monde de
son enfance et adolescence à Tesquet, hameau de Cuzorn en
Lot-et-Garonne.
Symbole de cette permanence, le château qui se
dresse au-dessus du village brouillant les dates : peut-être se
demandait-on / qui allait encore surgir, / des Anglais ou des
Français. Mais le château n'est plus que ruines... Le
tableau est décroché. Ce monde est sur le point de
disparaître ; seule l'écriture va permettre de le
revisiter quelques décennies plus tard, afin que reprennent
chair les visages, enfouis sous le poids des chemins.
La Croix d'Aix, nom du tènement
où se trouvait Tesquet, est après Pigeonniers du silence,
le deuxième recueil de Jean-Paul Blot, également
traducteur de poésie.
Article de Presse :
“Ce recueil de poèmes consiste en un
cheminement de mémoire, à partir de papiers anciens
dormant dans un tiroir et faisant surgir des noms : « Ils
murmurent entre les lignes se parlent et se répondent par
quittance ou testament par reconnaissance ou contrat interposé,
documents que je lisse sous la lampe, que j’ausculte et
dépouille, rumeur qui monte et se déploie. » (p. 11)
Et les poèmes mettent « au jour
», mettent « en lumière », cette «
rumeur ». Comme tout art de la mémoire, celui-ci fixe le
souvenir en des lieux, « les hautes terres du Vignal / avec ses
châtaigneraies » (p. 20), « la plaine du Tesquet
» (p. 39), et puis « Gavaudun et Salles », «
Laurenque et Vauris » (p. 25), « un village » (p. 30).
Jean-Paul Blot évoque aussi l’histoire,
la grande Histoire, et les changements du monde ; il prend le temps
d’égrener ses souvenirs en un rythme lent tissé
d’échos sonores, d’effets de
répétition, qui démontrent l’affleurement
progressif de la réminiscence. La forme poétique varie,
quatrains ou strophes plus longues, ou bien méditation continue.
« La Vigne » (p. 55) constitue une variation sur la forme
du sonnet.
L’ouvrage se ponctue de photos prises par
l’auteur pour la plupart, photos d’êtres, photos des
lieux qui ont amené cette remémoration, mais les
souvenirs doivent être « comme les poissons » (p. 54)
puisque « La Croix d’Aix », toponyme qui donne son
titre à l’ouvrage, « a disparu des cartes / seul
nous reste le nom sur un manuscrit". (p. 115)"
Guy Braun
Temporel, N° 1