Le bâton de pèlerin prend racine
ici, ne veut pas aller à Saint-Jacques,
c’est en arbre qu’il renaît.
La porte s’ouvre béante
et des pavés bringuebalent,
en route depuis des siècles,
ne voulant plus rien entendre
de mes chaussures éculées.
Entre le plat pays de ses origines et une
destination qu’il aimerait situer en terre romane, le
poète flamand Stefaan van den Bremt, né en Belgique
néerlandophone en 1941, poursuit son parcours de pèlerin
des mots. Dans la suite de poèmes, intitulée « Voix
des terres basses », qui forme le noyau central de cette
anthologie, un grand nombre de voix se heurtent ou se rencontrent.
Cette approche polyphonique lui permet de rassembler des motifs
qu’il confronte dans leurs discordances, et auxquels il fait
subir toute une série de modifications et de transpositions. Les
voix se complètent et se contrent, sans que jamais aucune
d’entre elles n’arrive à étouffer les autres.
L’histoire s’allie au mythe, la musique au mot, la
péripétie individuelle à l’aventure
collective, la question à la réponse toute provisoire et
déjà prête à soulever la question en retour.
Un critique flamand a observé que « ce plaidoyer
passionné pour la polyphonie est à la fois une
identité, une poétique et une éthique ».
Article :
Avec Temps et lieux,
beau recueil bilingue rassemblant un choix de poèmes allant de
1999 à 2004, le poète flamand Stefaan van den Bremt trace
comme une géographie de son pays poétique.
C’est un paysage comme un rébus , / où chaque chose en cache une autre.
Le pays de Stefaan van den Bremt est un pays que l’on habite physiquement : Ciel sous lequel on grisonne, / enclavé par ce lopin de terre / (ça colle aux pieds, ces mottes !).
Mais c’est aussi un pays habité, je veux dire vraiment habité, par de vraies gens : Trente-six fois par jour, il traverse le square en short, quelquefois / avec une bêche ou une bouteille de bière.
Et sous la terre de ce pays-là, il y a de vrais morts : Campagnol
Lucien, disons Lucien le Tarin, / (ne disons rien… son nez
pointu ne perce-t-il pas / là-bas derrière le coin de la
rue où il retient / son souffle ?), Lucien donc, ce
Lucien-là, mange lui aussi les pissenlits par la racine.
C’est avec ces matériaux-là, avec ce
quotidien-là, avec cette immanence-là que
l’écriture, intimiste ou baroque, s’aplanissant ou
se tordant, selon ce qu’elle donne à
réfléchir, tente, au départ des terres basses,
d’absorber et de fixer la totalité du monde.
Pourquoi m’est-il si cher, ce coin de terre, / comme une avance, une promesse du monde ?
Vers
où m’attire cette mer si grise, comme / m’invitant
à une navigation au long cours ?
Les poèmes de van den Bremt, on les voit, on les sent, on les
touche ; ils sont comme ces grands arbres de Flandre, bien
enracinés dans le sol, et dont la tête, quand le vent
souffle, tend vers la mer.
Et dans les cimetières de campagne, les morts, grâce aux mots du poète, font entendre un chant de cigales.
Jean Loubry
Le Journal des Poètes, Avril/Mai/Juin 2009