Armel Guerne

Le Poids vivant de la parole



168 pages
Prix : 15,00 €
ISBN : 978-2-85792-174-5

Le Livre 

     “Même si la plupart de ceux qui en font ne s’en doutent guère, il en coûte beaucoup d’écrire un livre et c’est un acte grave. Une œuvre, dès qu’on ne la tient plus pour un feuillet dans l’effarante cataracte de papier imprimé qui s’abat chaque matin sur la France, on doit se demander quel est son acte sur la terre ; et non seulement de quel esprit elle procède, mais aussi et peut-être surtout, dans l’angoissante tragédie de nos jours, quels esprits et quels cœurs elle encourage et décourage. Les temps sont trop tendus, où nous vivons si mal, et l’essentiel y est trop manifestement en péril, si près de chavirer bientôt, pour que – quelle que puisse bien être l’éloquence du prédicateur – si quelqu’un d’entre nous prend sur soi de gravir les degrés qui le mettent en chaire au-dessus du silence, nous ne l’attendions pas à l’efficace de sa parole. Et puisque nous sommes tous prisonniers de la même prison, de ce compagnon qui s’est mis au-dessus de nous pour prendre la parole, et à qui nous prêtons quelque chose de nous, peut-être un irremplaçable instant du temps humain de notre âme, pour l’entendre, c’est un enseignement utile ou un vrai pas vers la délivrance que nous attendons, non pas un bavardage qui épaississe la cloison ou une rhétorique qui nous distraie, fût-ce un instant, et nous détourne des verrous qui nous séparent du salut. Nous entendons en définitive qu’il n’abuse en aucune façon ni de notre misère ni de la sienne…”
                                                                       

                                                                                                                     Armel Guerne


Article de presse :

                                                          GRANDEUR DU SILENCE
 
                                                        Armel Guerne, traducteur et poète
 
                    Admonition

            Toi l’attentive, aiguisée, aux aguets
            Lucidité, prunelle de notre œil
            Intérieur, cerf-volant frémissant
            De notre intelligence sous le vent
            De l’esprit, subtile effarouchée
            Dans la danse ou le branle-bas des choses,
            Toi la malice sur ton fil tendu
            Sur sa courbure où résonne un son grave,
            Sache-le bien: c’est son inclinaison
            Qui appelle les foudres, les fougueuses.
            Et maintenant tais-toi. Garde ta clé.

                                                Armel Guerne
 
     
        Bien des lecteurs du Magazine littéraire, j’en suis sûr, connais sent le nom d’Armel Guerne à cause de ses nombreuses traductions constamment rééditées – celles des grands romantiques allemands (Novalis et Grimm surtout), des Élégies de Duino de Rilke ou des principaux romans de Melville. Mais quand le XXe siècle aura pris son vrai visage, sans doute reconnaîtra-t-on en Guerne avant tout un poète ; et ses traductions intéresseront encore, mais parce qu’elles font partie de son œuvre. La réédition en un seul volume de plusieurs petits recueils posthumes depuis longtemps introuvables en apporte encore la preuve.
       Ami de Bernanos ou de Cioran, Guerne a connu le sort d’être un poète apprécié d’un petit nombre d’admirateurs fervents, mais ignoré du grand public, et considéré par les critiques avant tout comme un traducteur. Arrivé par hasard ou par un signe du destin (un accident de voiture) à Tourtrès, un petit village du Lot-et-Garonne, il s’y installa et passa les vingt dernières années de sa vie dans un moulin à vent désaffecté, à « écouter le chant du monde » et à noter, en poèmes brefs qui sont autant d’éclairs de vision, son dialogue avec l’inftni. Comme les mystiques dont il s’est nourri, Guerne ne fait nullement une confiance aveugle au langage – mais il sait que cet instrument imparfait est la seule lampe qui permette d’éclairer nos ténèbres intérieures, par exemple en interrogeant ses rêves, comme dans La Nuit veille, admirable livre de 1954 récem ment réédité [1] Cette « âme insurgée » (le titre d’un essai sur le romantisme [2]) ne cesse de protester contre son époque matérialiste et mercantile ; la poésie est pour lui un acte de résis tance spirituelle.
       Rien n’a vieilli dans ses poèmes, souvent faits d’une seule phrase déployée sur dix ou douze vers. Leur grandeur se mesure à la qualité du silence qu’ils font régner autour d’eux. Un silence plein et vivant : « Mais pour savoir que le silence/Est la grande et unique clé/ Il faut percer tous les symboles [...]/ Subir jusqu’à la mort/Comme un écrasement/Le poids vivant de la parole. »

(1) Éd. Intexte, 2006www.intexte.net.
(2) Éd. Phébus, 1977, encore disponible.
 
                                                                                                  Jean-Yves Masson
 
                                                            Le Magazine littéraire, N°472 février 2008