Aogán Ó Rathaille sentit leurs forces se rejoindre
au rivage de la mer de l’Ouest
– l’énergie du chaos et une contre-énergie
qui se façonne dans les affres de l’équilibre ;
la tempête qui gémit dans les terres, loin des eaux
éveille une voix qui répond dans sa tête
Né en 1928, Thomas Kinsella est
considéré comme l’un des grands poètes
irlandais contemporains. Tout d’abord fonctionnaire au
Ministère des Finances, il se consacra très jeune
à la poésie et publia son premier recueil de
poèmes à l’âge de vingt-quatre ans.
Élu en 1965 à l’Académie des Lettres
d’Irlande, il fut invité, la même année,
comme poète en résidence dans une université
américaine et commença alors une nouvelle
carrière. Il enseigna vingt ans à
l’université Temple de Philadelphie, avant de se retirer
définitivement en Irlande dans le comté du Wicklow.
Écrivain, professeur, traducteur – il a
traduit des poèmes gaéliques du Moyen Âge, en
particulier la célèbre épopée The Tain
– Thomas Kinsella fut aussi éditeur : il dirigea The
Dolmen Press, puis fonda en 1972, la Peppercanister Press. En 1986, fut
publié sous sa direction le New Oxford Book of Irish Verse, aux
éditions Oxford University Press.
Ce recueil va permettre de faire connaître un
poète, trop peu traduit en français, dont John Montague a
dit qu’il est un « poète lyrique irlandais
croisé de prophète hébreu ».
Extraits d'articles de presse :
"Thomas Kinsella, né en 1928, est sans doute
le doyen des poètes irlandais mais, malgré
l’ampleur et la qualité de son œuvre, malgré
le rôle éminent qu’il a joué dans la vie
Culturelle et le monde de l’édition, sa renommée
n’atteint pas celle de son contemporain John Montague. Le
présent recueil bilingue est donc le bienvenu à plus
d’un titre. Les dix-huit textes rassemblés ici couvrent la
période 1973-1990 en esquissant la courbe de
l’évolution d’une écriture. Ils
s’appuient pour la plupart sur la vie intime de l’auteur;
profondément mêlée aux problèmes sociaux de
son temps : la maladie de l’aimée (« Phoenix Park
»), la figure de la grand-mère à ses derniers
moments (« Tear »), celle du père mort en 1976
(« The Messengcr »), un instant de volupté («
Muse on my mattress »), la félicité domestique
(« The Laundress »). De grandes ombres illustres sont
convoquées, Aogan o Rathaille (« At the Western
Ocean’s Edge » ), Jack Yeats, De Valera, (« The last
») : elles font aussi partie de ce quotidien où une
thématique souvent sombre – incommunicabilité,
souffrance, violence – compensée par les formes de la
beauté et de l’amour fournit au poète ses
trouvailles les plus belles et les plus surprenantes. La poésie
de Kinsella, souvent visionnaire, est exigeante, elle ne se rend pas
facilement. Les traducteurs ont bien eu conscience de son
mystère, dont ils ont su respecter les promesses et la
fécondité. Une introduction brève mais
précise et des notes succinctes encadrent ce petit volume
à qui on souhaite un succès mérité. Bien
vivant, Kinsella continue d’écrire (TheFamiliar, Godhead,
1999) – qu’on se le dise ! – et fait l’objet
d’une récente et savante étude de Derval Tubridy
(Thomas Kinsella : the Peppercanister poems, UCD Press, 2000)."
Claude Fierobe
Etudes irlandaises, automne 2001
"Les éditions Fédérop ont
été les premiers francophones à entreprendre la
traduction des poèmes de Thomas Kinsella, figure reconnue et
importante de la littérature irlandaise, et, au-delà, de
la littérature anglophone contemporaine. Ce volume bilingue,
sobre et beau, propose une quarantaine de poèmes, dont quelques
longues pièces, qui aideront le lecteur à se laisser
glisser dans une œuvre qu’on peut qualifier de
profondément irlandaise, du fait de l’heureuse
synthèse qu’elle propose entre lyrisme et naturel, au
service d’un réalisme touchant, quotidien, magnifié
par une attention sensible aux détails et à leur
combinaison mythique dans des jeux d’ouverture au monde et de
fermeture sur une sphère intime, qui n’est pourtant jamais
misérabiliste ni ne suinte inutilement de guimauve.
[…] Face à tous les poètes qui
s’évertuent à décrire et à dire, la
recherche que fait Kinsella de la sensation vraie, profonde, de celle
qui réveille le mythe en chaque lecteur, est une œuvre
utile, lumineuse et rafraîchissante. Le travail des
éditions Fédérop, exigeant et sensible,
mérite d’être connu et salué.
Jean-Luc Breton
Le Mensuel littéraire et poétique, n° 302
Thomas Kinsella
au bout de la nuit
"C'est un poète irlandais immense, et ce pendant à peu
près inconnu en France, que les excellentes et courageuses
édi tions fédérop nous ont permis de décou
vrir avec la publication bilingue du Messager. Né en 1928,
Thomas KinseIIa n'est certes pas de ceux qui dorent la pilule de leurs
lecteurs. Son univers inté rieur (et extérieur) est en
effet frappé au sceau d'un pessimisme ontologique qui n'est pas
sans rappeler, par instants, les chants les plus sombres de Leopardi.
Ses poèmes, aux strophes admirablement ci selées, nous
plongent au cœur d'un monde promis à la plus infâme
dégrada tion physique et morale, sans espérance de salut,
voire de sens. On pourra aussi songer à cette «terre
vaine» dépeinte avec effroi par T.S. Eliot, ou encore
à cer taines images atroces, cruelles et déses
pérément désenchantées de Gottfried Benn.
S'il croyait en Dieu, ce qui n'est plus le cas, nous verrions
volontiers en Thomas KinseIIa une manière de cathare celte :
à l'écouter (car ses poèmes doivent être
entendus autant qu'être lus), le monde du vivant paraît
avoir été créé par le Mal et pour le Mal
– pour la douleur et le chagrin. Parfois même, le
poète semble avoir atteint le stade où les larmes ne
peuvent plus, ne savent plus couler. Et pourtant, ce n'est pas
là indifférence ou détachement de sa part, bien au
contraire. Parce que Le Messager mani feste envers les
déshérités, les humiliés et les
affligés une compassion infinie, que l'on aimera à
qualifier de «chrétienne» tant il est vrai qu'on ne
quitte pas la foi, en Erin, sans en garder des stigmates... Parce que,
chez Thomas Kinsella comme chez Céline, le «voyage au bout
de la nuit» est quand même quête de lumière,
fût-elle chimérique et vouée à
l'échec. Parce que la tragédie de l'Irlande lui inspire
des vers d'une concision incan descente, tels ceux où il
évoque la pré sence quasi légendaire d'Eamon De
Valera et de Jack B. Yeats, ce très grand peintre
expressionniste, frère de William B. Yeats, dont les tableaux
flamboient de l'argent des chevaux-fantômes perdus dans la
lande... "
Michel Marmi
Contrelittérature N°7