textes de Yves Boisseleau

illustrations de Christian Gardair

Le Corps du délit

112 pages
Prix : 25 €
ISBN : 978-2-85792-193-6

Le Livre 

        Extrait :

    Le corps du délit. C’est, selon les juristes, l’objet qui constitue et prouve le délit.
   C’est pourquoi le corps décapité de l’Apôtre retrouvé sur la plage (et tout le monde avait pu voir la blessure infectée laissée par la fameuse écharde) avait ainsi été désigné à la colère du Pantocrator.
    Pendant ce temps, fier de la beauté de son geste réussi, et suivi de Pasolini tremblant à qui cette scène de plage semblait prémonitoire, la puissante brute de l’église des Barnabites, après avoir ainsi mutilé l’Apôtre des Gentils de la plus élégante manière, et aussi pour qu’on vît bien le somptueux drapé des muscles de son dos, s’éloignait lentement sur la grève avec des déhanchements de maître-nageur à la mode.
    Tout en se retirant du théâtre de l’exécution, il criait très haut à son compagnon médusé : Périssent ainsi tous ceux, Saul de Tarse comme Mallarmé, qui ont osé déparler du corps, tandis que son glaive encore sanglant lui battait lourdement la cuisse.
 
 
            Les textes en prose d’Yves Boisseleau invitent le lecteur à une promenade poétique et ludique autour du mot corps et de sa riche polysémie. Expériences réelles, évocations littéraires, picturales ou musicales constituent le point de départ de ces variations entre vagabondage du sens et détournement culturel.
            La peinture de Christian Gardair, place en regard de ces poèmes des tableaux qui sont aussi des variations. Sa peinture ne peut exister, écrit Jean-Michel Maulpoix, que sur le mode sériel, chaque tableau en appelant d’autres à sa suite. Variations dans la répétition, ce sont autant d’affirmations de sa liberté. Tout l’art, dit-il volontiers, est dans la vigueur du parti-pris. Ainsi l’artiste met à son tour le texte en mouvement, lui donne du jeu en élargissant son espace.
            Dialogue lumineux d’un peintre et d’un poète qui a déjà publié des carnets de voyage au Chili (Tableaux Chiliens, éditions Cosmigonon, Université de Concepción, Chili, 2005).


Articles :

Nos lectures du Vendredi : “Le corps du délit”, Yves Boisseleau, Christian Gardair.
 
    Couleurs qui dansent au cadre noir de ce tout nouvel ouvrage des éditions Fédérop. On croirait un feu dans la nuit. On s’approche : c’est en fait un dialogue entre les mots d’Yves Boisseleau et la lumière picturale de Christian Gardair. L’ensemble est une réflexion sur le corps. Sur le mot lui-même et ses différents sens, sur l’idée que l’on peut se faire du corps suivant les uniformes qu’il revêt, lesquels – comme leur nom ne l’indique pas ! – sont multiples et changeants. Réflexion sur l’homme aussi, sur la vie, la mort, le sens donné aux choses.
    Christian Gardair, peintre bordelais, avait proposé de longue date une collaboration à Yves Boisseleau. La proposition se concrétise alors en l’offrande de plusieurs dizaines d’œuvres de Christian Gardair, chatoyantes, aériennes, ou plus sombres et profondes. Et les voici, ici, qui se glissent à merveille aux côtés de l’écrit d’Yves Boisseleau, avec lequel, désormais elles font corps... « Le corps du délit : L’objet qui constitue et prouve le délit. »
    L’écriture d’Yves Boisseleau, à la fois précise et ample – car y éclatent des images à forte charge poétique, tour à tour initie et complète la richesse intérieure et mystérieuse des peintures de Christian Gardair. On ne sait véritablement qui illustre l’autre. Un corps se constitue et prouve la réelle beauté de l’ensemble. Yves Boisseleau s’implique, corps et âme, dans chacun des textes produits, où parfois il dénonce. Corps de textes, dont les images de Christian Gardair sont les cris.
    S’approcher du feu qui danse au cœur sombre de ce nouvel opus des éditions Fédérop; écouter, avec attention, le crépitement des couleurs de Christian Gardair, en admirer l’éclat offert aux écrits d’Yves Boisseleau... Loin d’être un délit c’est un beau voyage, aux éternelles destinations. On y revient, on s’en imprègne, on y songe... Voyage réaliste et onirique à la fois. Et vrai livre de chevet.                                                                                  
                                         Anne DUPREZ, http://www.aqui.fr/cultures/nos-lectures-du-vendredi
 
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Passion(s) :

    On l’avait quitté, il y a trop longtemps déjà, en abandonnant le lycée de Sainte-Foy-la-Grande (Gironde) où son enseignement avait illuminé des années agitées et brumeuses. On s’était souvent réjoui de le voir adossé au tableau, ou circulant parmi les pupitres, dégageant de scintillants sentiers parmi des textes arides, s’engageant dans de luxuriantes et fécondes explications de texte. Des continents improbables et des auteurs intimidants que, sans lui, nous n’aurions peut-être jamais abordés, nous devenaient accessibles.
    On l’avait retrouvé, de loin en loin, conversation jamais achevée, toujours heureux de suivre le destin de ses anciens élèves. On s’étonnait qu’il n’écrivît point. Agrégé de lettres, Yves Boisseleau avait exploré, du temps de ses études, “le sentiment d’échec dans la pensée de Marcel Proust”. Il aimait aussi faire visiter le château de Montaigne, citant de longs passages de l’auteur des Essais, son voisin familier. La retraite venue, Yves Boisseleau a fini par céder à la tentation d’être publié. Une autre facette est apparue, prolongement de ce qu’avait été ce professeur de lettres qui donnait si bien le désir et le goût de lire.
    Ses Tableaux chiliens (dans une édition bilingue), instantanés poétiques d’un périple le long de la cordillère des Andes, nous avaient conquis. L’espace de cette chronique lui fut naturellement consacré (La Croix du 3 septembre 2005). Un nouveau livre vient de nous parvenir : Le Corps du délit, publié chez un éditeur de Dordogne (Fédérop), illustré par le peintre Christian Gardair. Ou comment décliner en 74 chapitres courts les différentes acceptions de ce mot : corps.
    Exercice de style où Yves Boisseleau passe en revue ses occurrences, avec beaucoup d’entrées spirituelles, mystiques, nourries d’une vaste culture religieuse et esthétique. Il s’étonne que le “corps gravide” de Marie, avant la Nativité, soit si peu représenté, avec “la rondeur adorable du ventre plein de grâce où l’enfant sommeille encore avant d’être jeté dans les turbulences de l’Incarnation.” Les corps célestes qui “peuplent le ciel de leurs constellations”. Le corps glorieux des bienheureux, après la Résurrection, Corpus Christi, aussi, évidemment.
    Les corps de garde et les gardes du corps. Les corps absents que les glaces retiennent en captivité. Le corps héréditaire que nous portons et transmettons, de génération en génération. Le corps à corps de l’amour, affolante alchimie, combat de possession autant que dérive de feu. Le corps de violon avec ses “ouïes” et son “âme”. Les corps de métier : médical, enseignant (“le plus utile et le plus méprisé”), électoral, diplomatique, épiscopal. Les pleins et les déliés du “corps de la lettre”. De l’expression maritime “perdu corps et biens”, Yves Boisseleau tire une leçon de renoncement et de soumission à ce mystère qui nous emporte vers l’inconcevable : “II nous faudra aussi tout laisser dans le naufrage universel de la vieillesse et de la mort, les biens de ce monde et jusqu’à notre propre corps.”
 
                                            Jean-Claude Raspiengeas, La Croix (05/06/10)

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Le Corps du délit d’Yves Boisseleau. Illustrations de Christian Gardair, éd. Fédérop.

    Dans les pas d’Alain Rey ou de Flaubert, celui du Dictionnaire des idées reçues, Yves Boisseleau explore en poète toutes les expressions codées, spécialisées ou usuelles, qui mettent le corps en jeu, le dépossèdent ou le supplicient, le mettent au pas ou en gloire, à l’épreuve ou simplement en mouvement. La langue dans tous les états du corps, du corps comme parti pris ou comme pièce à conviction. Le Corps du délit... de poésie !
    Les variations ainsi réunies ne constituent pas un simple glossaire, les choix et les enjeux sont loin d’être neutres ; Yves Boisseleau interroge l’Histoire, scrute les murs des églises ou des musées. Un rien subversif, il s’insinue dans les trous de mémoire de l’Histoire officielle, traque les cadavres des Algériens oubliés au fil des eaux de la Seine, un certain mois d’octobre 1961, les suppliciés espagnols peints par Goya, « la frêle silhouette du petit Jeune homme de la place Tian An Men devant le char du camarade (à moins que ce ne soit celui de la camarde) qui louvoie devant lui. »
    La société est passée en revue, tantôt avec mordant, tantôt avec le détachement d’un citoyen sans illusions sur la capacité de nuisance des humains, ou sur leurs travers, petits ou grands. L’auteur frise volontiers la caricature lorsqu’il évoque les corps constitués, les édiles, la magistrature, le corps médical ou le corps enseignant... S’il force souvent le trait, c’est pour égratigner non pour éliminer. Le délit n’ira pas jusqu’aux Assises. La Correctionnelle est juste entrouverte et cela suffit à administrer la correction, la fessée d’avertissement ou la volée de bois vert, selon la gravité des faits incriminés...
    Quant aux corps des victimes de l’Histoire avec sa grande Hache (Pérec), Yves Boisseleau s’inscrit sans réserve dans le devoir ou le travail de mémoire.
    On s’étonnera peut-être que le plaisir du corps échappe quelque peu à ces variations, non que la relation érotique en soit totalement absente, elle est en effet réduite à un combat, un corps à corps brutal : « Comme possédés du démon, le corps de l’homme et le corps de la femme se prennent, de désir et de sauvagerie mêlés, comme des lutteurs s’étreignent à se broyer et s’abandonnent épuisés.
    On appelle curieusement faire l’amour cette rage de possession destructrice. » Ici, ni salut, ni rédemption dans l’amour ; quant au plaisir, il se dégrade au lit comme sur les champs de bataille !
    L’auteur cultive cependant le paradoxe, parodiant Mallarmé : « La chair est belle hélas / Et foin de tous les livres... » Sans jamais friser l’amour fou ! Le lecteur toutefois ne boudera pas son plaisir.
    L’ouvrage est à la fois ludique et grave. Les œuvres de Christian Gardair, reproduites en quadrichromie, offrent un contrepoint subtil aux variations d’Yves Boisseleau. Les éditions Fédérop, une fois encore, témoignent avec ce bel ouvrage de leur exigence à réaliser des livres soignés qu’on a plaisir à découvrir...
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                                                                            Lieux d’Être, n° 50