"La
nature, la louange ont été mes modes opératoires
les plus spontanés. Le quotidien fut longtemps peu
présent dans ma poésie. Le poème voudrait
l’éclairer par une quête du réel et par sa
propre réalité de chair des mots. Le détour est
consubstantiel au poème. Par ailleurs, mon seul rapport à
l'autobiographie dans le poème est un recueil: Le poème
de mes fils, où j'ai rassemblé les poèmes
écrits pour mes fils quand ils étaient petits puis
adolescents. Un récit: Le pré des langues, parle d'un
lieu d'enfance. Mais une vie (le quotidien) n'est intéressante
que par l'écriture que l'on fait d'elle. Mes études
d’espagnol m’ont aussi amenée à rêver
sur les siècles reculés où, au milieu de la
même barbarie qu’aujourd’hui, les
hétérodoxies religieuses –cathares, soufis,
kabbalistes- fécondaient synthèses et connaissances.
D’où le roman Marie de Montpellier.
J’ai eu à l’adolescence deux ou trois « vocations », dont
théâtre, danse et auparavant….couvent. J’évoque ces vieux et vagues
désirs parce qu’ils manifestent une contradiction entre joie de vivre et
retrait. La poésie tire sa réalité de cette tension, on l’apprend vite à
ses dépens dans l’existence, pour le plus grand profit de l’écriture.
Sans saut dans le vide il n’y a pas de voie pour la voix, sans silence
il n’est pas de chant. Il faut risquer, lâcher les certitudes, fermer
les yeux, cela permet d’exiger de soi, d’aller en creusant. Peut-on
parler de spiritualité, je ne sais et ne veux pas savoir. Il s'agirait
d'une spiritualité sensuelle et polymorphe qui n'a rien d'orthodoxe et
n'est d'aucune confession. Le poème nous mêle à la lumière, la poésie
comme la biologie portent à l'admiration du vivant.
Toutefois aujourd’hui, alors que toute synthèse
ethnopolitique, économique, éthique nous glisse des doigts, que l’Image
toute-puissante et omniprésente efface la mémoire, qui est le premier
aliment du poème, aujourd’hui dire la danse du monde (sa barbarie) et le
feu sous les mots exige toujours le couvent laïque mais la crise
planétaire sans précédent, que chacun ressent à sa façon, engage
l’écriture dans une urgence qui la modifie, et lui fait retrouver un
quotidien pourtant dénié au début de la page…"
Annie Salager