Gösta Ågren, poète finlandais de langue
suédoise, est natif d’Ostrobothnie sur la côte ouest
de la Finlande ; une province très authentique, terre de
cultivateurs, pays de grandes plaines mais aussi de forêts et de
mer. C’est peut-être justement cette authenticité du
milieu d’origine qui a donné à l’œuvre
de ce poète sa profondeur. Gösta Ågren est en effet
le maître de la phrase poignante (« la vie et la mort sont
les deux ailes / du même oiseau »), de l’image qui
frappe (« …entre / les arbres noirs nous apercevons / les
larmes scintillantes / du fjord ensoleillé »). C’est
aussi un justicier (« la vie n’est pas / le bout de pain /
jeté au mendiant, / mais le pain / qu’il nous rend
»). Mais surtout c’est un homme qui tâche de
dévoiler la vérité sur l’existence ; il
explore les réalités de la guerre et de l’histoire,
dépeint avec dévotion la nature nordique, flâne
dans le fantastique, l’impalpable et l’extraordinaire. Il
est également d’une conscience tranchante envers la
poésie, valeur de sa propre vie : « … Raconter /
une chose, c’est la réduire en paroles, / c’est
éteindre la nudité éblouissante de la vie./
C’est par ce moyen que j’ai survécu. »
Article de presse :
Avec ce recueil de poèmes bilingue, les
éditions Fédérop nous permettent de faire un peu
mieux connaissance avec l'univers et la manière de Gösta
Ågren (Finlandais d'expression suédoise, né en
1936). Le monde qu'il nous propose est plein de paradoxes, com plexe,
difficile à identifier, à formuler, ambigu, double, comme
l'exprime un texte justement intitulé Affirmation :
« Si les définitions étaient possibles
personne n'aurait besoin de les formuler,
mais chaque propos se termine dans le silence
et la vie et la mort sont les deux ailes
du même oiseau. »
Plus loin son Autoportrait tardif'
ne dit pas autre chose, car naître, c'est se faire condamner
à mourir. Alors pourquoi faire quelque chose de sa vie ? Bien
sûr, tout est vain, mais :
« Ce n'est pas du pessimisme de semer
dans le désert ! Bien sûr, c'est du sable
qu'il sème, mais il pense en le faisant :
ce serait dément de semer
du blé sur un terrain aride où
rien ne pousse. Le sable
ne peut pas germer ; c'est donc du sable
qu'il faut semer dans le désert !
Gösta Ågren constate que nos
connaissances sont chaque jour plus vastes, mais que notre ignorance
progresse au même rythme, que des « cantiques de
lumière coulent à flot par les vitraux » alors que
« la nuit tombe, les yeux s'éteignent ». Que faire
dans ce monde de paradoxes où « il est difficile de se
défendre contre la violence d'une caresse » et où
« le chagrin est notre moyen de nous rappeler la joie » ?
Que faire dans un univers où « la décision de
demeurer sur place, c'est aussi un départ » ? Faut-il
continuer à vivre dans un entourage hostile et faux, «
continuer le mensonge, puisqu'il reflète la vérité
» ? Incontestablement le poète a choisi de vivre, du moins
il essaye d'apprendre à vivre, tout en étant conscient
que, de cette simple tentative, certains en meurent. Vivre une vie,
même mal faite, encore et toujours. Encore, comme le titre du
poème suivant :
« Les enfants attendent
l'avenir, les adultes
attendent les vacances. Les
vieux rêves de
l'enfance. Ils se souviennent de
l'avenir. »
Mais s'agit-il vraiment d'un choix ? En tout cas, il
dresse un bilan intermédiaire dans La cinquantaine :
« Non, je ne choisis plus rien.
Ce qui m'arrive, c'est mon choix.
Toute résistance est écrasée. Ni
Ma vie ni ma mort ne peuvent arrêter
Ce parcours qui m'entoure
Et me protège. J'ai été choisi. »
Mais choisi par qui ? sinon par lui-même !
Bref voilà quelques pistes qui sont loin d'épuiser Une vallée dans la violence,
recueil bien fait et dont on peut apprécier a posteriori un
titre en parfaite adéquation avec le contenu du
livre.
Denis Ballu
Lettres nordiques, 2004-2006, 2007