Cette
paix séculaire. Cette paix de mille ans. Et même plus. Qui
se berce doucement dans la vague molle. Qui se réchauffe au
matin. Qui s’assoupit à la torpeur de
l’après-midi. Et qui écoute, la nuit, dans les
pins, chanter le rossignol et les cris des paons
réveillés. Réveillés par l’antique
peur descendue au long des siècles dans leurs veines. Celle de
toute l’espèce, dans les vallées du temps. Et qui
n’oublie pas de se réveiller chaque nuit.
Cette paix
de Maguelone, où l’enfant de la nuit joue à faire
glisser le sable dans sa paume. Comme s’il était, lui, le
sablier de l’histoire.
Écrits pour la plupart entre 2000 et 2005 (date de la mort de l’écrivain), ces Poèmes en prose
commencent presque toujours comme des notes jetées sur la
papier, mais ils se transforment aussitôt en tableaux
vertigineux, dont les perspectives, à peine
suggérées, ouvrent grand sur les mystères et les
enchantements d’un monde dont on ne soupçonnait
guère l’existence, et plus encore la présence,
invisible mais bien réelle, à nos côtés.
Rouquette, comme dans le reste de son œuvre, est ici un
incomparable déchiffreur. Ses capacités à
comprendre le secret des choses et des êtres autour de lui se
transforment immédiatement en images et en musiques qui nous
mettent de plain-pied avec ce qu’il a vu et ressenti, et dont il
a su restituer la force et la profondeur.
Article de presse :
Rouquette au Paradis
Mort en 2005 à 96 ans, sec et ridé
comme un vieux Comanche, Max Rouquette est un géant de
l’ombre des lettres françaises. Pour avoir écrit
toute sa vie en occitan (se traduisant ensuite souvent lui-même),
il s’est privé d’une gloire à sa mesure comme
l’a souligné Raphaël Confiant du Monde : “Quel
lecteur français moyen connaît le nom de Max Rouquette et
sait qu’il a construit l’une des œuvres les plus
accomplies de la littérature hexagonale du XXe siècle ?
Il avait, certes, l’immense tort d’avoir écrit
en occitan.” Bien qu’entré au répertoire de
la Comédie-Française, bien que les Amandiers de Nanterre
aient présenté une superbe version burkinabée de
sa Médée, on se souviendra de la fierté
d’airain dont il témoignait depuis sa douloureuse
solitude. À l’occasion du centenaire de sa naissance :
toute une série de parutions. Dont celle-ci : Poèmes en prose, pour la plupart des inédits.
Que la vie me quitte et que s’apaise le mouvement chaud de la chair
Et dès les premières lignes,
l’entrée dans un monde. En guise d’avertissement.
une adresse destinée à désarmer le lecteur
rationnel : “l’essence de la poésie est rebelle
à tout discours. Quand elle le sent, elle se
dérobe.” Un monde enchanteur s’ouvre, des sons, tout
y vibre, et les mots-clefs de Max Rouquette tournoient dans un espace
singulier, beau et inquiétant : “souffle”,
“paradis”, “herbe”,
“éternité”. Max Rouquette est un enfant
devenu poète pour continuer à gambader ébloui dans
la nature de son pays natal vers Argelliers. De continuer à
réanimer ce monde parfait de l’enfance : “Et les
pierres nous étaient douces. Sans mot dire après cent
mille ans. Conscientes de tout leur être. Et très
sûres de leur mission.” Et très vite la question de
la mort, qui côtoie ouvertement la vie. On a souvent dit de
Rouquette qu’il était noir ou pessimiste tandis
qu’il parlait en poète de la continuité de la vie.
“Que la vie me quitte et que s’apaise le mouvement chaud de
la chair et que, dans l’éternité qu’elle me
cachait, je vous trouve étoiles noires du silence, dans mon
regard, une fois encore.”
Valérie Hernandez
La Gazette de Montpellier, n°1050