Invente maintenant le calme qu’ils ne te donnent pas
joncs dressés qui demeurent splendides dans le vert
entravé par l’eau : regarde comme se perd
la force fragile des ombres qui les confondent
Moulin en flammes
est le premier recueil de poésies de Susanna Rafart traduit en
français. Cet ouvrage reprend des œuvres
antérieures, notamment des poèmes écrits lors
d’un séjour à Toulouse et des sonnets
inspirés par la lyrique troubadouresque. L’univers
poétique de Susanna Rafart s’adresse à un lecteur
unique, un interlocuteur que n’effraient pas les
nécessités premières de l’écriture.
Ce monde se dévoile en formes polyphoniques, proses,
poèmes courts, sonnets et témoigne d’une
extrême attention aux mouvements quasi imperceptibles : eaux
dormantes, algues, feuilles bruissant dans le vent, statues
brisées, fers rouillés... Seul l’amour
apparaît, dans ce monde désorganisé et
dévasté, comme la seule issue, l’unique salut
auquel les hommes sont promis, mais un amour où douleurs et
peines voisinent avec la joie, la plus grande joie du désir
comme présence et sensation d’être au monde. Susanna
Rafart, dans cette exigence poétique qui tient lieu de force
intérieure et d’expression des voix profondes que seule la
poésie permet de révéler, donne à
l’écriture cette dimension unique et cathartique,
empreinte d’une existence que le temps ne peut effacer.
Article de presse :
Susanna Rafart est l'un des poètes importants de la Catalogne
d'aujourd'hui. Ce livre présente, en bilingue (traduction
française de Jean-Yves Casanova), plusieurs de ses recueils,
tous en rapport avec l'Occitanie, la ville de Toulouse où elle a
séjourné et surtout les troubadours. Parmi ces derniers,
Jauffré Rudel et sa poétique de « l'amour de loin
» occupent une place particulièrement importante chez
notre auteur : amour d'une absente, menacé de sécheresse
et de désespoir (« pour un bien qui m'en
échoit/J'ai deux maux car tant m'est de loin », disait le
troubadour blayais), amour par le détour du poème et de
ses contraintes, amour cependant vivifiant qui seul éclaire le
quotidien désespoir. Comme en témoigne l'exemple de la
gare Toulouse-Matabiau :
Très vite, un lieu désagréable
En ces heures rudes,
Peut se transformer en foyer. Une horloge,
L'allée, quelques rues,
Un canal ombragé,
Les bâtisseurs d'une grande bibliothèque
Sur le point de déjeuner,
Et, dans la poche de l'abri,
Parmi toutes choses infimes, vôtres,
Les vers soulignés d'un livre.
Susanna Rafart a recours à des formes
poétiques diverses : vers libres, sonnets, proses
poétiques de longueur variable. L'unité de la voix et du
questionnement, de l'auteure donnent cependant à ce livre une
forte cohérence. Un même espace intérieur s'offre,
à demi (ou un peu plus qu'à demi parfois...)
voilé-révélé par la tension que le texte
organise entre ses images, ses rythmes et ses références :
Âme close en
toi vivier d'anguilles farouches, elles dévorent à ta
guise les raides branchages de la vie qui s'efface sans printemps.
Elles essaient de te faire une place dans la forme sauvage qui illumine
le temps. Elles apprennent à ma dette inutile à rouler
les chants des galets millénaires : elles résident ici
tandis quej'élève mes chansons.
Emmanuel
Hiriart
Poésie première, n° 37, Mars /Juin 2007