C’est alors qu’il
se jeta à la mer et se mit à nager vers l’Afrique,
où le rythme du temps, avait-il souvent entendu dire…
Comment un célibataire timoré,
professeur de littérature en mal de reconnaissance officielle,
a-t-il pu en venir à vivre en solitaire sur une petite île
majorquine, rebaptisée Île Flaubert par
référence à son projet personnel, aussi ambitieux
que la construction d’une œuvre d’art ? Au fil
d’un récit à la fois lacunaire et
répétitif, revenant constamment sur le passé du
personnage, on apprend bien vite que c’est la découverte
du pouvoir destructeur du temps, à l’occasion de la mort
de sa mère, qui l’a amené à rompre avec les
conventions sociales et les commodités matérielles pour
adopter ce mode de vie peu commun. Se passant pour ainsi dire de
sommeil, ne se rendant au village côtier que pour se ravitailler
et satisfaire ses besoins sexuels, il pense duper la mort en
étirant le temps à l’infini. Et lorsqu’il
prendra conscience de sa dégradation physique, il imaginera
encore, à l’intérieur d’une autre logique
dérisoire, un moyen d’échapper à
l’inéluctable.
Biographie d’un « homme zéro »,
L’Île Flaubert
évoque en toile de fond une société majorquine
comme intemporelle, aussi peu touchée par les
événements historiques que par l’invasion
touristique : pêcheurs bornés, aristocratie
décadente, bourgeoisie pétrie de conformisme.
Allocution de Raphaël Confiant, président du jury, lors de la remise du prix :
“Ce texte magnifique, traduit du catalan, a
fait l’unanimité du jury tant par son écriture que
par les résonances philosophiques dont il est porteur. Il
s’agit, en effet, du rapport d’un homme et d’une
île. D’un homme qui exerça longtemps le
métier de professeur de littérature et qui en est venu
peu à peu, inexorablement, à se détacher de ses
semblables.
Détachement tel que le laissent
indifférent le décès de sa mère et de
proches parents, leur maison familiale qu’il vend sans
états d’âme, les femmes avec lesquelles il
entretient un rapport de pure consommation.
Cet homme-là était mûr pour
s’éprendre du deuxième personnage principal du
roman, cet îlot désert situé à quelques
encablures d’un port où vivent des pêcheurs frustres
pour lesquels le professeur est un individu étrange. Tout
l’art de Miquel Àngel Riera consistera à nous faire
vivre de l’intérieur la lente appropriation de
l’île par ce dernier.
Il y aura d’abord, comme dans une parade
amoureuse la lente approche des corps : celui de l’île
d’abord avec sa petite crique, sa caverne aux pigeons, les ruines
d’une maison, son minuscule jardin ; celui de l’homme
ensuite qui, au contact du minéral et du végétal,
sentira la vie battre en lui et découvrira une dimension
inédite du temps. Ici, on comprend que ce roman est une
réflexion sur la mort et sur la difficulté
qu’éprouve chacun d’entre nous à
l’apprivoiser. Sur l’île, le temps
s’étire, se dilate, le rythme de la vie humaine finit par
s’accorder à celui de la vie minérale et
végétale jusqu’à n’en faire plus
qu’un. Nous sommes aux antipodes d’un Robinson
Crusoé pour qui l’île est un espace hostile
qu’il s’efforce de domestiquer. Ce qui fascine le
professeur dans l’île Flaubert, c’est que personne
n’y est jamais mort, c’est que la mort ne l’a pas
souillée.
C’est surtout qu’il peut y atteindre,
par la maîtrise du temps, un stade quasiment extatique de
l’existence. L’écriture très
maîtrisée de Miquel Àngel Riera nous y conduit,
nous aussi lecteurs, pour notre plus grand ravissement.”
Article de presse :
L'insularité en belles Lettres
Face aux 681 romans qui sortent à la
rentrée, « L'île Flaubert » est un marginal.
Édité par Fédérop en avril 2003, une toute
petite maison d'édition, il est une oeuvre littéraire.
L'auteur, aujourd'hui mort, est majorquin et avait écrit en
catalan.
C'est le lot des petits éditeurs. On en parle
peu ou seulement lorsqu'ils sortent un livre phare. C'est le cas des
éditions Fédérop. Basées en Dordogne, elles
vont jusqu'à huit publications dans les bonnes années,
trois dans les mauvaises. Cette année, un de leur livre,
publié en avril dernier, a reçu le grand prix du livre
insulaire au salon d'Ouessant. « L'île Flaubert » est
un roman de Miquel Angel Riera, homme de Lettres majorquin.
L'histoire se situe sur une île majorquine. Un
homme, professeur de Lettres, décide de s'y isoler à la
suite d'un drame, la mort de son fils. Il souhaite se détacher
du monde, échapper au temps, à la mort. L'écriture
est méticuleuse.
Miquel Angel Riera, l'auteur, est
décédé en 1996. « L'île Flaubert
», édité six ans auparavant en langue catalane
connaît un vif succès dans le milieu hispanophone. «
C'est l'office culturel du gouvernement majorquin qui nous a
contactés pour publier en français le roman,
précise Bernadette Paringaux, éditrice. Nous avions
déjà été sollicités par eux pour un
premier roman. » Les éditions Fédérop
travaillent depuis longtemps à la publication, en
français, de livres de langue minoritaire. Bernadette Paringaux
et Jean-Paul Blot n'hésitent pas.
Caroline HERVÉ.
Ouest-France du lundi 25 août 2003