Gabriel Janer Manila

La Vie, si obscure


roman traduit du catalan
par Marie-José Castaing



224 pages
Prix : 18,00 €
ISBN : 978-2-85792-175

Extrait du livre

    « Les années s’étaient écoulées depuis que Margarida, la fille cadette de la famille Font, s’était mariée en secret à la cathédrale de Majorque et qu’elle était partie vers la France. Peu à peu, les membres de la famille étaient morts : d’abord son frère Antoni, pendant la guerre civile sur le front de Manacor, ensuite sa mère, dona Maria-Sebastiana Berga, plus tard don Joan-Miquel, son père. Il n’était resté que Rosa dans la grande bâtisse du quartier de Sa Portella, toute seule. Au fil des années, les domestiques étaient mortes elles aussi, toutes ridées derrière les fourneaux. On n’eut plus jamais de nouvelles de Jaume Ripoll ni de Margarida. Les mauvaises langues racontèrent des histoires cruelles, et leur attribuèrent des perversions douteuses et des infamies. On raconta que Margarida dansait nue dans les cabarets de Montmartre pour les officiers de l’armée d’occupation. Mais ces histoires n’étaient probablement pas vraies et n’ont existé que dans l’imagination des gens et dans la fiction que Rosa, vaguement maléfique, construisait tous les après-midi derrière le balcon qui donnait sur la rue. » 


Article :
    « Lasse du joug imposé par un milieu social sclérosé, “lasse de sentir que, tous les matins, on lui coupait les ailes”, une jeune majorquine de bonne famille s'éprend du fils de l'épicier installé dans les dépendances d'un palais voisin. Après s'être mariés en secret à la cathédrale de Palma, les amants quittent l'île pour la France ; quelques années plus tard commence la seconde guerre mondiale. Dans la tourmente, les parcours de Margarida et de Jaume s'infléchissent et divergent jusqu'à la rupture. La paix revenue, ce sont deux existences brisées qui, de retour sur l'île, se croisent fugacement ; mais l'espoir même est irrémédiablement corrompu.
 
    Dans le mouvement alterné qui conduit de l'île au continent puis du continent à l'île, Gabriel Janer Manila questionne et confronte sans complaisance le rêve du paradis insulaire, associé à l'enfance, et le cauchemar de l'enfermement — à l'enceinte maritime se superposent les replis labyrinthiques d'une ville régie par des codes sociaux d'un autre âge, où dans chaque palais “rugissaient encore quelques vieux minotaures”, où le scandale et la folie sanctionnent toute tentative d'évasion.
 
    Le poids obsédant de l'insularité et l'âpreté du regard porté sur la société majorquine de l'époque relèguent à l'arrière-plan les péripéties proprement romanesques qui, par contraste, paraissent n'avoir “jamais existé que dans l'ombre imaginaire d'un rêve”. »
                                                                   Jacques Bayle-Ottenheim
                                                                   Bibliothèque insulaire