Francesc Serés


La Force de gravité

nouvelles traduites du catalan par
François-Michel Durazzo

272 pages
Prix : 17,50 €     ISBN : 978-2-85792-204-9


Le livre

    Des camionneurs, des ouvriers métallurgistes, un apiculteur, une guérisseuse, de jeunes coureurs cyclistes qui s’épuisent chaque dimanche à gagner une course, un garde forestier solitaire, un jeune drogué qui se meurt, un médecin d’un village de montagne…, tels sont quelques-uns des personnages, parmi d’autres, qui apparaissent dans les dix-sept nouvelles de La Force de gravité, toutes situées dans la Catalogne des trente dernières années : la Catalogne de l’intérieur, dévastée par les incendies de forêt, celle de la Costa Brava, où les pêcheurs ne pêchent plus et qui, pour survivre, n’ont d’autre moyen que de vendre aux touristes étrangers des souvenirs dérisoires fabriqués pour la plupart en Chine ; ou celle encore de Barcelone, ville grouillante de monde, avec son port immense, labyrinthe de quais où les hommes semblent bien peu de chose, écrasés par la présence des grues, des conteneurs et des chariots élévateurs.
    Pour chacun des personnages de Francesc Serés, la vie n’est rien d’autre qu’efforts incessants pour s’opposer à la force de gravité

Extrait d'article :

        « Dix-sept textes lents,  denses, beaux, minutieux : l’auteur s’installe et installe ses personnages (et son lecteur) dans la durée, dans l’épaisseur charnelle, terrienne de la Catalogne de ces trente dernières années. Il nous donne tout, de ses personnages : leurs méandres intérieurs, leurs sentiments, leurs passions, leur entêtement, avec une sympathie, une empathie qui vont jusqu’à la communion avec eux. Tous pèsent leur poids de chair, de songe, de désirs, d’humanité, de puissante réalité concrète et spirituelle : tous sont profondément humains et « aimables », même s’ils sont monstrueux par certains aspects. »
                                                      Jean-Loup Martin
                                                      revue Brèves, n° 103


Extrait de la nouvelle : « Le grand espoir blanc » (page 122)   

    “Quand il s’est de nouveau heurté à l’une des vitres, j’ai baissé les stores et me suis mis à regarder entre les lames. L’obscurité l’a tranquillisé, de fait il était épuisé, il n’avait pas eu le courage ne serait-ce que de regagner le dessus des classeurs et il était resté sur le sol, près du bureau. Déjà, il ne réagissait plus aux bruits de la radio, son regard n’était même plus une question, pourquoi, pourquoi, pourquoi, mais une lamentation qui faisait honte à voir. Quand il a fermé les yeux, il était si faible que son bec n’a pu qu’esquisser le geste de me frapper. Je n’ai pas pu faire autrement, il y avait déjà trop longtemps que je voulais le toucher, rien que cela, passer la main sur ses plumes pour sentir leur finesse. Je n’ai pas osé regarder la blessure.
    J’ai fini de baisser les stores pour plonger le mirador dans l’obscurité et, monté sur le toit, j’ai poursuivi ma surveillance depuis le sommet.
    Quand on est venu me chercher, il ne bougeait presque plus. J’ai soigneusement replié ses ailes. Elles lui collaient au corps comme un linceul, les plumes cachaient sa blessure, sa tête ballottait sans la moindre résistance. Le garde l’a laissé tomber dans le sac. Il ne pesait rien.”

Extrait de l'entretien avec Dominique Aussenac (Le Matricule des Anges, avril 2012)

    Les dix-sept nouvelles de La Force de gravité (prix national de littérature de Catalogne en 2007) étonnent par leur extrême maturité et la puissance qu’elles dégagent. Comme si elles portaient les ombres tutélaires des prestigieux devanciers que sont Joseph Pla (1897-1981) ou Mercè Rodoreda (1908-1983). Elles évoquent le petit peuple paysan ou ouvrier de 1’après-franquisme. Son désir de vie meilleure, sa volonté de s’émanciper du passé, des contraintes de la nature.
 
“La Force de gravité décrit des parcours humains sur trente ans en Catalogne. Quelle a été votre démarche ?
    Parler de 1’effort comme sujet littéraire. L’effort des gens qui travaillent et vivent pour avoir une existence raisonnable. J’ai une place privilégiée : la Catalogne est une nation qui se développe avec des caractéristiques particulières et complexes. Près de ma maison, j’ai un résumé de 1’Europe et du monde. Un résumé de 1’humanité : mon voisin peut me raconter 1’histoire de proximité, 1’immigration. À partir de cela, je peux raconter 1’histoire du monde avec des personnages catalans.”