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Jacques Dugelay
Evaristo ou la lumière des ombres
64 pages
Prix
: 16,77 €
ISBN : 2-85792-007-5
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Le Livre
"La poésie, seule, peut guider nos pas vers Evaristo à
l’exemple de ces initiatrices voilées qui conduisent l’apprenti jusqu’au
seuil du mystère.
Parce que la poésie s’évade hors des mots qu’elle formule,
qu’elle les prolonge. Or, la peinture d’Evaristo dit plus qu’elle ne montre,
donne à entendre au-delà de ce qu’elle donne à voir.
Les textes de Dugelay n’expliquent rien des
tableaux d’Evaristo : ils les ouvrent, car le poète et le
peintre possèdent les clés d’un domaine
commun. Domaine obscur dont la prose infirme peut simplement dire
qu’il procède d’une expérience calleuse de la
réalité. J’ai connu Evaristo, ouvrier de la
banlieue, peignant comme un forcené aux heures de loisir. Des
usines rouges et noires, des natures mortes imposées à la
surface du tableau. L’essentiel assené à coups de
poings sur et dans la peinture. Le fardeau du quotidien et, cependant,
la vérité du quotidien dans son assise robuste par un
homme qui connaissait le poids et le prix des choses. Cette
réalité-là, singulièrement,
n’était pas coupée de l’imaginaire. Le pain
et les cheminées d’usine aussi bien, trempés dans
le feu de la peinture, accédaient à la dignité
noire du monde d’Evaristo.
Ils étaient sa lave, ses catacombes, ses mines, ses cavernes. Leur évidence
formulée, ils entraient aussitôt dans le contingent minéral des symboles du
peintre.
L’imaginaire l’emporte aujourd’hui dans son œuvre. Mais il
n’y a tant de force, je crois, que pour être passé dans le champ bombardé
par l’expérience de la réalité.
Burlesques, les ballades macabres, grotesques, les rois et
les mages, cocasses, les crânes ! Sans doute. Mais ce triomphe de la mort
est irrigué d’énergie. A-t-on remarqué qu’enfoncés dans les orbites, les
yeux des vivants y charbonnent et que la lueur n’est jamais éteinte dans le
creux de la mort. La vie et la mort ardentes avec cette fleur, ce diamant du
regard qui n’est même pas à tisonner. La vie et la mort entrelacées.
Peindre l’une c’est parler de l’autre.
Les peuples du soleil aiment le noir. Ils portent le deuil de
la lumière dans leurs peintures mais les noirs de leurs palettes étincellent
comme des cierges dans l’église, comme le cuir d’un cheval au galop sous la
lune. Amoureux de la mort et porteurs de vie.
Qu’on y prenne garde : la danse de mort de sa peinture n’est
pas abdication devant le néant. De bois sec en bois sec elle allume des
bûchers visibles et chaleureux. Les rois momifiés, les souverains des
catacombes, les charniers même ont à fleurir. C’est que les paysages
d’usine, les tables aux pains, les ont sacrés d’une réalité inépuisable.
Ils crèvent de vie sous la poigne d’Evaristo."
Jean-Jacques
LERRANT
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