"Je regarde ce livre comme un livre-itinéraire. Mais, bien
au-delà de la fréquentation des montagnes et des fjords,
c’est surtout la quête d’un Tao qui ne viserait pas
seulement à la contemplation, mais bien à retrouver ses
marques dans un monde dont le sens s’estompe de plus en plus.
Toute reconstruction de ce sens passe aujourd’hui par un acte de
résistance. Le voyage offre une position, une posture, pour un
réarmement de la pensée dans cette direction.
Les quatre périples qui constituent ce
rouleau de peinture sont joyeux, mais ils sont placés entre un
prologue et un épilogue qui empêchent tout
émerveillement béat. Ce pessimisme n’est que la
lucidité extrême qui ne doit pas empêcher la joie.
C’est par cette disposition ontologique à la joie que nous
sommes fils du chasseur du néolithique.
La route vers le cap Nord, est un compagnonnage
posthume avec Jack Kerouac. Dans ses livres embarqués vers le
grand Nord européen, j’ai trouvé
l’extraordinaire proximité d’un compagnon
généreux, mal lu et trop rapidement, comme tout le monde,
il y a trente ans. Le second volet confronte deux époques dans
la vie d’un pêcheur des îles Lofoten qui a
vécu ce passage de l’ancien monde à
l’hypothétique nouveau. Dans le troisième
mouvement, la géologie des iles Aran semble aussi dure que
l’histoire de l’Irlande. L’opéra
géologique y résonne des mêmes accents que la
tragédie de l’Histoire, quand les Anglais poussaient la
misère toujours plus vers l’ouest. Enfin,
l’île norvégienne de Tautra, son calme et ses
quarante-trois habitants apparaissent comme le havre
protégé qui laisse au voyageur le temps de se laisser
aller à l’écoute de la respiration des fjords.
Le voyageur que je fus durant ces quatre
années reste aujourd’hui persuadé
qu’au-delà de cette respiration, il n’y a rien."
Jean-Paul Loubes